Il y a quelques semaines, alors que je participais à un panel de discussion sur l’intégration et la socialisation des minorités dans le milieu du travail, le sujet d’une question de l’audience a vivement suscité mon intérêt et amorcé une réflexion en moi : les CV anonymes. Êtes-vous pour ou contre une telle pratique ? Celle-ci favorise-t-elle vraiment la réduction de la discrimination à l’embauche ?
Dans la sphère RH, nous savons que la discrimination est très présente à l’étape du tri de CV. Rappelons-nous ce constat frappant en 2012 de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Avec des compétences égales : un candidat au nom de famille québécois avait 60% plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne ayant un nom de famille à consonance africaine, arabe ou latino-américaine[1].
Que veut-on dire par CV anonyme ?
Ce concept tire son origine des États-Unis dans les années 60[2] et était un moyen de lutte contre les discriminations raciales et les oppressions sociales. Les candidatures étaient envoyées sans mention de l’âge, l’adresse, le sexe, la situation familiale et l’année d’obtention des diplômes. Ainsi, on neutralise les éléments liés à l’état civil de la personne, afin de parvenir à une égalité dans le traitement des candidatures et d’atténuer la discrimination à la sélection.
Cette pratique a-t-elle fait ses preuves ?
De l’autre côté de l’atlantique en 2006, plus précisément en France, on votait une loi qui imposait les CV anonymes aux entreprises de 50 employés et plus. Certains ont tenté l’expérience et il semblerait que l’approche aurait permis aux personnes ayant un nom jugé discriminant d’avoir 32% plus de chances d’être convoquées en entrevue et 36% plus de chances d’être embauchées[3].
Dans tous les cas, cette stratégie permet la remise en question de nos pratiques traditionnelles. Elle représente un outil nécessaire à la lutte contre la discrimination à l’embauche.
Les limites d’une telle approche
Si l’approche des CV anonymes est un outil nécessaire, il n’est néanmoins pas suffisant. En effet, une telle approche a ses limites qu’il faut considérer avant de sauter aux conclusions. Voici quelques points de vigie :
- Anonymiser le CV repousse le problème. C’est-à-dire que cela n’empêchera pas la discrimination au moment des entrevues de sélection. Les biais sont partout. En gommant certains éléments du CV, il est possible que le nombre d’années d’expérience trahisse l’âge ou que l’origine ethnique soit devinée en fonction de la ville d’études. Cela ne règle donc pas l’enjeu de discrimination;
- Il est difficile de mettre en œuvre et d’automatiser l’anonymisation du CV. De plus, qui est responsable d’une telle pratique : le candidat ou l’entreprise ? Advenant que l’entreprise veuille porter le fardeau, les coûts supplémentaires sont considérables et il n’existe présentement pas de logiciel abordable pour les petites entreprises qui supporte cette approche.
L’approche des CV anonymes est intéressante. Il faut cependant la combiner à une sensibilisation et une formation sur la discrimination et les biais inconscients, surtout pour les acteurs du processus de sélection. Encore aujourd’hui, les gestionnaires ne sont pas bien outillés à la sélection de candidats basés sur un profil de compétences nécessaires au poste. Cela laisse donc place à une grande subjectivité dans le processus.
Et si on pensait à une logique inverse ? Au lieu de gommer les éléments du CV, on pourrait au contraire permettre la mise en valeur des profils par le « personal branding [4]», qui renvoie à une présentation et une évaluation selon la personnalité, le savoir-être, les valeurs, l’identité et l’histoire propre de la personne.
La promotion de la diversité et de l’inclusion requiert des efforts opérationnels de toutes les parties, mais c’est également la pratique humaine de la rencontre de l’autre. Il est temps d’innover à cet égard !
SOURCES:
[1] Poirier, Patricia (2012, 8 août). « La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse mesure la discrimination à l’embauche : mieux vaut se nommer Bélanger que Traoré », CDPDJ, section Actualités. Récupéré de https://www.cdpdj.qc.ca/fr/actualites/la-commission-des-droits-de-la-94
[2] Parent du Chatelet, Olivier. « Du CV anonyme au recrutement sans CV : enfin un vaccin contre le virus de la discrimination à l’embauche », BearingPoint, section blogs. Récupéré de https://www.bearingpoint.com/fr-fr/blogs/blog-rh/du-cv-anonyme-au-recrutement-sans-cv-enfin-un-vaccin-contre-le-virus-de-la-discrimination-%C3%A0-lembauche/#:~:text=Mis%20en%20place%20aux%20Etats,sup%C3%A9rieures%20%C3%A0%20quinze%20ans%20mais
[3] Neveu, Audrey (2017, 27 février). « Pour ou contre de CV anonyme? ». Journal métro, section carrières. Récupéré de https://journalmetro.com/carrieres/1096334/pour-ou-contre%E2%80%A8le-cv-anonyme/
[4] Poirier, Patricia (2012, 8 août). « La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse mesure la discrimination à l’embauche : mieux vaut se nommer Bélanger que Traoré », CDPDJ, section Actualités. Récupéré de https://www.cdpdj.qc.ca/fr/actualites/la-commission-des-droits-de-la-94
Auteure
Consultante en développement organisationnel
Spécialisée ressources humaines