Au cours des dernières années, de nombreuses entreprises ont investi dans la mise en place de rôles d’experts en équité, diversité et inclusion (EDI) et dans le développement de politiques, de programmes et d’initiatives en la matière. Maintenant, quelques années plus tard, comment déterminer si les bons moyens et indicateurs de mesures ont été mis en place pour évaluer les résultats tangibles de ces initiatives ? Quel rôle revient aux spécialistes des ressources humaines qui ne sont pas des experts EDI dans les projets de diversité ? On se demande ensemble: vos initiatives EDI, obtenez-vous l’impact recherché ?
Sous la forme d’une entrevue à la radio lors du dernier Congrès RH de l’Ordre des CRHA, trois panélistes ont accepté notre invitation d’aller au fond des choses pour partager avec candeur les obstacles rencontrés, les facteurs de succès, les coups d’épée dans l’eau et les solutions développées lors de leurs derniers projets EDI.
Entretien animé par Julie Tardif, CRHA avec pour panélistes
Directrice de service et Leader nationale – Diversité, équité et inclusion, Deloitte
Mme Chloé Freslon
Présidente et Fondatrice, experte ÉDI en consultation et chroniqueuse médias, URElles
Bruno Valet, CRHA
Chef, Ressources humaines, Orchestre Symphonique de Montréal
Julie :
Quand j’ai imaginé ce panel, je souhaitais approfondir la réflexion de la communauté RH sur ce qui doit être fait de plus que la prévention des micro-agressions et de la promotion de la diversité. J’étais curieuse d’entendre mes pairs sur ces questions et je les remercie d’avoir chaleureusement accepté de s’entretenir avec moi… en public!
Après une première discussion ensemble, nous avions tous la forte impression que les stratégies EDI avaient plafonné cette année. La majorité des entreprises ont voulu prendre action après le mouvement Black Lives Matter mais la plupart se sont contenté, ou heurté, à des formations de prévention. D’ailleurs, plusieurs articles parlent de l’impact négatif que la pandémie a eu sur l’avancement de l’EDI, comme les iniquités homme-femme qui ont augmentées, en plus du fait que les services de ressources humaines étaient principalement occupés dans les plans de contingence.
Question : Comment vous êtes-vous assuré d’aller plus loin que la formation préventive ?
Candice :
Je dirais 3 choses. Tout d’abord, 1. Une Stratégie et une vision DEI : Pourquoi mon entreprise valorise-t-elle la diversité ? Quelle est la vision de mon entreprise en matière de DEI ? Quels objectifs vise-t-on ? Comment la diversité apporte-t-elle de la valeur à mon entreprise? Ensuite, 2. Une équipe de direction ACTIVEMENT impliquée : Le PDG avec qui j’ai la chance de travailler y croit, il me fait confiance et j’agis à titre de conseillère stratégique. Enfin, 3. Des indicateurs de performance : il est presque impossible de mesurer nos progrès sans avoir des données, comme la représentativité au recrutement et aux promotions, les sondages éclair, etc.
Bruno :
Avant même de parler de la formation préventive, nous avons eu des réflexions et des questionnements à savoir qu’elle place jouait l’EDI à l’OSM (l’abréviation est DEIA chez nous, avec l’Accessibilité). Nos réflexions ont débuté plus sérieusement en 2016 où un premier rapport a été produit. Plus tard en 2018, nous avons créé un comité interne pour traiter de cette question, et ce comité a réalisé un travail en profondeur sur la place de l’EDI dans l’organisation.
Une charte DEIA a été rédigée et diffusée et nous avons inscrit des actions en EDI dans notre nouveau plan stratégique. Ce plan est porté par la direction de l’OSM et approuvé par le CA. Bref pour aller plus loin, il faut un réel engagement de la direction et un plan d’action. Il faut que la DEIA soit une priorité stratégique et il faut y mettre des ressources (financières et RH). Comme tous les changements, j’ai l’impression que le taux de succès des implantations des actions EDI est plus élevé si le projet est porté par un ou des membres de l’équipe des dirigeants de l’entreprise et non par quelqu’un du service RH. C’est le cas à l’OSM et je crois que cela démontre l’importance de ces questions.
Chloé :
Pour moi le point brûlant c’est le temps d’arrêt. Il y a eu une montée de la justice sociale en 2020 et beaucoup de compagnies se sont tournées vers la promotion de la justice sociale. Elles ont apporté des changements dans leur trio mission- vision-valeurs et elles ont parfois établit une structure EDI. Mais plusieurs ont manqué de temps d’arrêt. Si on veut aller plus loin que la prévention, il faut prendre un temps d’arrêt pour réfléchir à nos actions.
Julie :
C’est vraiment très intéressant de vous entendre partager le même point de vue sur l’engagement incontournable que doit prendre la haute direction pour avoir un réel impact, et de prendre le temps d’arrêt pour réfléchir à ce qu’on fait. Bruno démontre bien avec sa ligne du temps que les changements prennent du temps. Pourtant comme nous en parlions tous ensemble, nous estimons que les dénonciations de micro-agressions et d’apparence de discrimination continuent d’augmenter. Est-ce qu’on s’améliore avec les années ou pas ?
Question : Comment mesurez-vous l’impact de vos activités de prévention ? de vos stratégies ? Avez-vous l’impact recherché ?
Chloé :
C’est toujours la question taboue qu’on essaie de [ne] pas se poser, alors on fait bien de la mettre sur la table aujourd’hui. La perfection c’est bien trop difficile à atteindre. On essaie d’avoir du tangible avec de l’intangible. La participation active des participants aux formations et la montée en compétences sur le sujet, c’est tangible. On voit des employés qui s’accaparent un nouveau vocabulaire nommé dans les formations, c’est tangible. Vos employés utilisent des exemples de micro-agressions dans un contexte de réunion pour les enrayer ? C’est tangible, même si ce n’est pas quantifiable. On fait aussi des sondages sur le sentiment de justice et on obtient des données. On peut même se benchmarker.
Bruno :
Une chose est certaine, il est encore difficile de mesurer les impacts de nos activités de prévention. Nous n’avions pas de données par le passé et donc une comparaison entre le AVANT et le APRÈS n’était auparavant pas possible. Nous avons maintenant des processus plus formels pour colliger les « plaintes » ou les demandes d’accommodements. Par exemple, nous avons eu à gérer une plainte d’un employé envers un autre collègue. Ce dernier a passé des remarques qui étaient clairement des micro-agressions. Parce que nous avions suivi une formation à ce sujet (merci à Julie et Iceberg Management), nous pouvions tous mettre des mots sur le comportement de l’employé en cause. Cette situation n’aurait sans doute jamais été abordée il y a quelques mois seulement. L’employé touché aurait sans doute eu un malaise du commentaire de son collègue, mais il ne se serait peut-être pas plaint. Aux RH, maintenant que nous avons les vraies définitions de la micro-agression, il nous est également plus facile d’intervenir pour faire cesser les comportements inappropriés. Donc voilà un exemple d’un impact direct entre les activités de prévention et l’impact recherché.
Candice :
Je rejoins Bruno. On commence maintenant à monitorer. On est une organisation très « DATA-driven », on avait déjà beaucoup de KPI mesurés, mais la différence maintenant c’est l’angle EDI dans chacune des choses.
Julie :
Lesquelles ?
Candice :
Le recrutement, les bassins de candidatures, on monitorait déjà mais maintenant c’est par groupe d’équité. Comme le taux de roulement, maintenant c’est par groupe d’équité.
Julie :
Qu’entends-tu par groupe d’équité ?
Candice :
la mission de miroiter la population canadienne. Pour le faire, il fallait pourvoir un % de femmes dans les équipes de direction, un % du peuple autochtone, un % des personnes en situation de handicap. Maintenant ce sont des choses monitorées.
Comment éviter le Tokenisme et ne pas être choisi pour sa différence ?
Candice :
C’est à compétences égales d’abord. Ensuite on porte notre regard sur la différence. Il faut arrêter de penser qu’on a des systèmes équitables, on n’en a pas. Alors on corrige leurs effets avec nos actions. On a aujourd’hui une meilleure vue d’ensemble sur avant 2020 et après 2020. 1 an après George Floyd, il n’y avait pas eu grand-chose. Je reviens aux dénonciations. Je pense qu’elles augmentent, non pas parce qu’il n’y en avait pas avant, mais plutôt parce que les dénonciations ont été normalisées dans les dernières années. Je reviens avec l’importance des données : en plus des exemples précédents, à quoi ressemble le nombre de plaintes de votre ombudsman avant 2020 et après ? Chez Deloitte, l’impact recherché est présent, mais j’aimerais être transparente avec notre auditoire et dire que ce n’est pas instantané. C’est un marathon et il nécessite d’être constant. Cette année par exemple, j’ai vu le fruit de certains efforts qu’on avait fait il y a 2 ans. On peut donc voir qu’il faut être patient.
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Note de l’autrice : Vous venez de parcourir le tiers de l’entretien avec mes panélistes. Pour obtenir la version intégrale, veuillez svp vous adresser à notre équipe : info@icebergm.ca
Auteure
Directrice commerciale, Cofondatrice et Associée
Conférencière et Formatrice agréée
Consultante en ressources humaines